Ceintures de couleurs

et lutte pour les friandises…

Un article de Justine Delacour 

arnaque-ceintures-couleur

Mon neveu vient de se mettre à la lutte cette année,

et je viens de voir sur leur site quelque chose qui m’attriste beaucoup :

http://fflutte.com/progresser-les-maitrises/les-maitrises-de-couleurs .

Ces maîtrises de couleurs sont pour moi des « friandises » pour un individu en construction, et non, comme indiqué sur leur site : « un objectif d’acquisition progressive des bases techniques et tactiques de la lutte ».

Un scoop me direz-vous ? Eh bien non ! Bis répétitas, les idiots utiles de ces fédérations avides de célébrité n’en finissent plus de faire sécession pour assumer leur grand destin de gourou en chef.

Fait on de la lutte pour apprendre des techniques et des tactiques ou bien pour construire un individu ? Est-ce juste un loisir ? Une manière d’occuper son temps ? Ou une manière de se donner des armes pour affronter l’existence ? Moi je suis triste de savoir mon neveu dans un système basé sur l’appétit de récompenses plus que sur l’éveil d’une réelle compréhension quant à l’intérêt de pratiquer. Un système débile et infantilisant de plus, à l’heure ou l’éducation intelligente devrait pourtant être une priorité…

Mon neveu baigne là dedans depuis un bon moment déjà, avec quelques années de ski, de snowboard et puis de karaté. Il connaît les astuces pour progresser : il s’agit de rafler les distinctions (flocons, étoiles, ceintures de couleurs, maintenant les tenues de lutte jaunes, orange, etc.) le plus vite possible. Bon, d’accord, il est encore jeune. Et puis ce n’est pas ma soeur qui va lui expliquer qu’il perd son temps à donner de l’importance à ses grades colorés, car elle perd son temps aussi à cela !

L’argument mis en avant en général (entre autre par ma soeur et par Kawaishi, voir plus bas) est que cela motive les pratiquants. Mais n’est ce pas les pratiquants les plus inintéressants et les plus dépourvus d’esprit qui sont motivés par ces bêtises ? Dans les arts martiaux, avant les ceintures de couleurs il existait les kyu, qui venaient eux mêmes du jeu de go (mais ça c’est une autre histoire… pas sûr en fait ?). L’origine des couleurs de ceinture en judo date de 1926.

C’est le centre européen de Judo, dirigé par Gunji Koizumi, qui lance le premier l’idée d’associer aux grades kyu des ceintures de couleurs : 

Cliquez ici pour en savoir plus 

Mikonosuke Kawaishi reprend et perfectionne cette idée pour en arriver aux associations suivantes : ceinture de couleur blanche pour 5e kyu, jaune pour 4e kyu, verte pour 3e kyu, bleue pour 2e kyu, brune pour 1er kyu, et noire pour 1er dan et suivants.

L’idée de ces couleurs provient du jeu de billard anglais, le snooker. Les judokas nous l’apprennent eux mêmes : Cliquez ici 

Les couleurs sont les mêmes, sauf la boule rose du snooker, et il y a attribution d’un chiffre à chaque couleur. Le vice n’a pas été poussé jusqu’à avoir exactement le même ordre des couleurs (en snooker la boule jaune vaut 2, la verte 3, la brune 4, la bleue 5, la rose 6 et la noire 7), mais la jaune est quand même la première après la blanche, la verte la suivante et la noire est la dernière… La voie est lancée ! 

billard

Aujourd’hui il existe en judo 12 ceintures différentes : 

http://www.ffjudo.com/ffj/Minisites/Grades-CSDGE/Contenu/Les-ceintures/Les-ceintures-progression

et des petites choses, les barrettes, que l’on peut ajouter pour redécouper ce premier découpage (euh je veux dire deuxième découpage, troisième peut être…?).

Bien entendu, on associe un savoir faire à chacun de ces petits morceaux de grade, et hop là ! Chaque grade est associé à un ensemble de techniques à exécuter. Demain, en redécoupant encore et encore on en arrive a « une technique exécutée – un nouveau grade », donc une nouvelle couleur, ou un agencement bien malin de plein de couleurs (avec des barrettes, des petits fils, des morceaux de fils, des fils rayés, etc.). Après demain, on redécoupe les techniques elles-mêmes en petits morceaux, et les couleurs pareil… Bref, ce n’est plus de l’art martial mais de l’art plastique !

Une petite récompense pour un petit effort fourni. Une toute petite récompense pour un tout petit effort fourni. Et puis quoi encore ?! Sommes-nous tous des enfants ? Ou des rats à dresser ? Si la comparaison peut vous paraitre violente prenez connaissance de la méthode de Pavlov : 

http://www.addictopedia.com/systeme_de_recompense.php 

Celle-ci utilise exactement le même système de récompense pour le dressage des rats ou autres bêtes. Il faut que le monde sportif stoppe immédiatement l’utilisation des méthodes de Pavlov et de dressage par récompenses sur nos enfants comme s’ils étaient des animaux !

Je pense que les gamins d’aujourd’hui, baignés de plus en plus dans ces absurdités de friandises toxiques, perdent tout sens de l’étude véritable d’une discipline. La notion de « savoir » prime malheureusement sur la notion d' »être » à tous les niveaux de la société.

Gichin Funakoshi dit dans son 8e précepte du karaté-do (http://fr.wikipedia.org/wiki/ Gichin_Funakoshi) que « la pratique du karaté ne saurait se cantonner au seul dojo ». Aujourd’hui je pense que nos enfants (et leurs parents, tant qu’à faire) ont besoin de comprendre la toxicité de ces friandises.

Il faut lever le voile et proposer à nos enfants des disciplines qui les aident à se construire et à s’armer pour mieux vivre, et non des disciplines qui les « dressent » à se suffire d’un fonctionnement consommateur sans aucune subtilité.

La lutte, comme beaucoup de disciplines, prend un chemin dangereux aujourd’hui, et mon neveu avec.

Ça ne me réjouit pas, c’est la raison pour laquelle je souhaitais écrire ce bref essai sur le sujet.

Je pense que plus nous serons nombreux à montrer du doigt ce système pervers et contreproductif, mieux ce sera.

A bons entendeurs !

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